L'élection fédérale canadienne du 22 mai 1979 opposait le parti libéral de Pierre Trudeau (au pouvoir depuis 1968) contre les progressistes-conservateurs rassemblés autour de Joe Clark à titre de nouveau chef. Les conservateurs avaient mené une campagne prévisible sous le thème C'est le temps d'un changement auquel on répondait bien à la grandeur du pays.
à moins de deux jours de la date de l'élection, Trudeau et le parti libéral élaborèrent un plan audacieux pour reprendre l'initiative de la campagne et faire valoir la question du leadership, leur thème de campagne traditionnel. Le Maple Leaf Gardens, l'aréna légendaire du hockey à Toronto, devait être le théātre du plus grand rassemblement électoral de l'histoire canadienne. Plus de 18,000 partisans libéraux survoltés remplissaient le bātiment pour entendre ce que les commentateurs prévoyaient être l'ultime discours politique du premier ministre Trudeau.
Cheminant sur le plancher de l'amphithéātre assombri et caverneux, le premier ministre Trudeau était éclairé par un seul puissant projecteur. L'atmosphère craqua dans un vacarme assourdissant. Quelques instants plus tard, l'éclairage d'ambiance de l'aréna prit la relève dans toute sa puissance et tous les yeux purent suivre le premier ministre s'avancer vers la scène aménagée à l'extrémité nord de l'aréna, au milieu d'un large corridor flanqué de centaines de partisans avides de lui serrer la main.
Après avoir ouvert son allocution comme il se doit avec quelques phrases-choc de nature politique et avoir reconnu l'ampleur du rassemblement, Trudeau s'employa ensuite à endormir son auditoire frénétique avec un appel à un mandat renouvelé pour combattre la séparation du Québec. Le discours, long et de facture magistrale, constituait un curieux détour dans cette campagne qui avait systématiquement porté jusqu'alors sur les enjeux économiques et le leadership, mais c'était du Trudeau tout craché. Avec l'oeil sur l'enjeu fondamental de l'unité canadienne à long terme, et sentant peut-être une possible défaite électorale, il a voulu déposer fermement sa vision politique sur la place publique.
Comme de fait, les progressistes-conservateurs sous la gouverne de Joe Clark sortirent victorieux de l'élection de mai 1979, mais le gouvernement minoritaire de Clark commit une fausse manoeuvre au cours d'un vote sur le budget en décembre de la même année et fut résolument défait au cours d'une élection éclair deux mois plus tard. Ainsi, par un autre détour de l'histoire, Pierre Elliot Trudeau eut de nouveau la chance de mettre en oeuvre la plate-forme sur l'unité nationale qu'il avait d'abord énoncée dans une aréna de hockey surchauffée au cours d'une soirée historique du mois de mai.
|